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                          Actes de la 2ème Journée AIM de recherche Serious Games et innovation




   Stratégie de développement d’un serious
 game : entre processus de gamification et de
                disengamement
                                  Stéphane Goria
       Centre de recherche sur les médiations (CREM) - Université de Lorraine
                          stephane.goria@univ-lorraine.fr
Abstract
Ces dernières années deux expressions relatives à l’utilisation partielle ou complète d’éléments issus des
jeux dans des contextes non ludiques ont vu le jour. Ces expressions sont celles de serious game et de
gamification. Un serious game ou jeu sérieux est un jeu développé à des fins professionnelles qui utilise
une interface ludique pour atteindre des objectifs professionnels. La gamification correspond à un
processus qui emprunte des éléments de design des jeux vidéo pour rendre activités sérieuses plus
sympathiques, dynamiques, motivantes, etc. Le processus de gamification n’a pas pour objectif de
développer un serious game ou de transformer une activité sérieuse en un serious game, mais nous
pouvons considérer qu’un processus de gamification suffisamment poussé produit un serious game. Dans
cet article, nous prenons comme centre de réflexion le concept de serious game pour nous interroger sur
les processus de transformations qui peuvent y aboutir. Nous débutons notre propos en étudiant ce qu’est
un serious game, vis-à-vis de sa littérature, mais aussi en termes de structure, de contexte et d’attitude de
jeu. Ceci nous permet ensuite d’envisager à partir du processus de gamification, cinq autres processus qui
peuvent aboutir au développement d’un serious game.

Introduction
Ces dernières années, deux expressions anglo-saxonnes ont véritablement émergé dans les domaines de
l’Informatique et du Management, puis ont touché de très nombreux autres secteurs d’activités. Ces
expressions sont celles de serious game et de gamification. L‘expression serious game renvoie à l’idée
d’un produit élaboré, sous-entendant que ce qui est considéré est le résultat de la conception de quelque
chose que l’on peut qualifier de jeu, mais dont l’objectif est utilitaire et non uniquement ludique (Alvarez
and Djaouti, 2012, 11 ; Michael and Chen, 2006, 29). Nous étendons cette interprétation à d’autres serious
games dans le sens où « jeu sérieux » fait aussi penser à une activité de jeu sérieuse. Ceci nous permet de
nous intéresser comme d’autres auteurs (Deterding et al, 2011 ; Werbach, 2014) à la relation existante
entre des serious games et des activités auxquels on a appliqué un processus de gamification. Ce
processus dit de « gamification » renvoie ainsi à l’idée d’un apport en éléments employés pour la
conception des jeux afin d’en tirer profit dans le cadre d’activités non ludiques (Kapp et al, 2014, 54 ;
Zichermann and Linder, 2013, 19). Comme certains auteurs ((Deterding et al, 2011 ; Kapp et al, 2014, 55 ;
Werbach, 2014), nous considérons, par rapport à un jeu sérieux, qu’une chose ou une tâche à laquelle on a
appliqué un processus de gamification ne l’est pas toujours au point de pouvoir être qualifié de jeu.
Dans cet article, nous proposons d’envisager les serious games et les autres formes de jeux sérieux comme
l’aboutissement d’un processus pour lequel nous allons tenter d’envisager les différentes variantes. Il
s’agit de compléter l’apport de travaux tels que ceux (Deterding et al, 2011) en incluant dans notre
réflexion sur la relation existante en serious game et gamification : les sports, e-sport et les contextes de
jeux qui font que le joueur adopte une attitude sérieuse (comme dans le cas des Échecs ou Poker). De la
sorte, nous posons la question des cheminements possibles pour développer un jeu sérieux. Pour ce faire,
nous commençons par étudier ce qui est nommé serious game et les répartissons en deux catégories : les
serious video games qui sont des sortes de jeux vidéo et les serious games qui existent sans support
numérique dont certaines formes encore employées, datent de bien avant l’apparition des jeux vidéo. Puis
nous nous écarterons de la littérature des serious games pour nous intéresser aux autres formes de jeux
que l’on peut qualifier de sérieux. Nous débutons l’analyse de ce que peut être un jeu en tant que structure
de jeu (game en anglais) ou en tant qu’attitude de jeu (play en anglais) et contexte de jeu. Nous appuyons

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sur ces approches pour ensuite aborder, à partir d’un raisonnement purement théorique, certaines
structures et attitudes de jeu que l’on peut qualifier de sérieuses. Enfin, nous montrons que cette
représentation des processus de développement menant à un jeu sérieux peut prendre au moins six
trajectoires différentes.


1.      Les serious games et leur littérature
Au premier abord, la littérature traitant des serious games semble en donner une définition pratique et
sans trop d’ambiguïté. Il s’agit de jeux vidéo développés pour atteindre différents objectifs professionnels
(Alvarez and Djaouti, 2012, 9 ; Guardiola et al, 2012 ; Kelly et al, 2007 ; Shen et al, 2009 ; etc.).
Malheureusement, si l’on approfondit ses lectures relatives aux serious games, on devient perplexe. On
trouve ainsi quelques auteurs qui parlent de serious games, mais n’imposent pas que ces "jeux" soient
obligatoirement des sortes de jeux vidéo (Célerin et Plasse, 2012, 20 ; Kapp et al, 2014, 331 ; Mader et al,
2012 ; Michael and Chen, 2006, 21-23 ; Smith, 2009 ; etc.). Ces derniers auteurs considèrent plutôt les
jeux vidéo comme une évolution technologique, dans l’air du temps, où l’informatisation des jeux est
équivalente à celle de l’ensemble de la société. Malgré tout, ces auteurs partagent avec ceux du premier
groupe quelques points de vue sur le serious game. D’abord, il y a le caractère utilitaire du serious game.
Ensuite il y a la référence historique du serious game associée à la définition proposée par Clark Abt
(1970) qui a écrit en 1970 le premier livre intitulé « serious games » et dans lequel les serious games ne
sont pas présentés comme des jeux vidéo. Du côté de ceux qui parlent à la fois de serious games sur
support numérique et de serious games plus classiques ; cette définition est souvent mise en perspective
avec celle de Michael Zyda (2005). En effet, pour cet auteur (Zyda, 2005), un serious game est, avant
tout, un système informatique utilisant les ressorts du jeu vidéo pour remplir de multiples fonctions :
apprendre, enseigner, communiquer, informer, etc.
La distinction principale entre ces deux groupes d’auteurs semble concerner une conception purement
vidéo ludique d’une part, et non uniquement vidéo ludique d’autre part. Partant de ce constat, nous avons
cherché d’autres auteurs qui pourraient intégrer le groupe des auteurs qui n’imposeraient pas aux serious
games d’être des jeux vidéo, même si c’est ce type de serious game qui les intéressent. De la sorte, nous
avons estimé que certains de ces auteurs préciseraient que les serious games qu’ils étudient ou
développent sont des serious video games. Dès lors, ces serious video games seraient une sous-catégorie
des serious games, mais qui serait majoritaire en termes d’exemples ou de citations. Après quelques
recherches, nous avons trouvé plusieurs auteurs qui avaient employé l’expression serious video game ou
sa traduction française jeux vidéo sérieux (Amato, 2011 ; Thompson et al, 2010 ; Wong et al, 2007 ; etc.).
Ainsi, nous avons pu déduire que les serious games qui font l’unanimité sont les serious video games,
mais qu’ils masquaient l’existence des serious games non vidéo. C’est pourquoi nous avons décidé
d’explorer séparément ces deux sous-catégories de serious games pour mieux les comprendre.

1.1.    Les « serious video games » ou jeux vidéo utilitaires
Nous avons pu constater, à partir de nos lectures, que la date de référence qui est la plus souvent avancée
pour signaler l’émergence des serious games est l’année 2002. Cette date correspond à celle de la
fondation de la Serious Games Initiative aux USA (Alvarez et Djaouti, 2012, 96 ; Kelly et al, 2007 ;
Michael & Sande, 2006 ; Thompson et al, 2010 ; Wong et al, 2007 ; …) et au succès du jeu sérieux
America’s Army (Alvarez & Djaouti, 2012, 96 ; Amato, 2011 ; Shen et al, 2009 ; etc.). Or, ces deux
évènements sont intrinsèquement liés à l’univers du jeu vidéo. Ainsi, la Serious Games Initiative a pour
objectif d’aider au transfert technologique des potentiels des jeux vidéo vers des activités et outils d’autres
secteurs tels que l’Économie, la Gestion, l’éducation, la Santé, etc. Elle permet aussi aux entreprises de ces
secteurs d’être mises en contact avec certaines spécialisées dans le jeu vidéo. De ce point de vue, le jeu
America’s Army représente assez bien ce que peut produire ce type de transfert technologique. Il s’agit en
fait de l’adaptation du jeu vidéo Unreal Tournament à des fins de recrutements militaires (Smith, 2009).
Il entre dans la catégorie des jeux de tir en vue subjective à la "Call of Duty". Dans America’s Army, le
joueur incarne un soldat américain qui suit une formation militaire et ensuite est engagé dans des zones
de combats urbains. Si le joueur suit les ordres, remplit sa mission, échappe aux tirs ennemis, etc., il
obtient en général un très bon score qui lui vaut des félicitations et une invitation pour un entretien avec




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un recruteur de l’armée américaine. C’est ainsi que ce jeu a pu améliorer notablement les statistiques de
recrutements de cette armée.
Depuis 2002, il nous semble que le jeu America’s Army a progressivement céder la place à d’autres jeux
qui remplissent d’autres fonctions utilitaires. Parmi ces derniers, September the 12th et Foldit semblent
être les plus cités (Alvarez et Djaouti, 2012 ; Guardiola et al, 2012 ; Kapp et al, 2014 ; Mader et al, 2012 ;
…).
September the 12th n’est pas un jeu de guerre même s’il en a l’allure, mais un newsgame, c’est-à-dire un
jeu fondé sur l’actualité dont l’objectif est de faire passer un message (Alvarez et Djaouti, 2012, 55). Le
joueur dispose d’un écran muni d’une cible et a ainsi la possibilité de bombarder avec des missiles les rues
d’une ville ou se promènent à la vue de tous des terroristes armés. Mais compte tenu de l’objectif du jeu, le
joueur ne peut pas gagner. En effet, le message véhiculé par ce jeu peut être résumé de la sorte : « les
frappes chirurgicales n’existent pas et les dommages collatéraux créent plus de nouveaux terroristes que
les tirs n’en tuent ».
Foldit est jeu qui entre dans la catégorie des jeux de réflexion et casse-têtes (puzzles) ainsi que dans celle
des datagames ou jeux orientés vers les données (Alvarez et Djaouti, 2012, 22). C’est un jeu de découverte
de données biochimiques fondé sur une participation massive de joueurs. Ainsi, en faisant appel à de très
nombreuses personnes, le jeu Foldit propose de plier une forme représentant une protéine en 3
dimensions afin de résoudre des problèmes réels de Biochimie (Cooper et al, 2010) : il faut tenir compte
de l’énergie nécessaire au pliage et anticiper l’arrivée de virus sur des zones trop exposées. Une protéine
bien pliée répond à ces deux contraintes. L’objectif de développement du serious game Foldit était de
permettre la résolution d’un problème de pliage de protéine pour lequel les méthodes traditionnelles ne
donnaient rien. Pour ce faire, les concepteurs de Foldit ont traduit le problème sous la forme d’un casse-
tête en 3 dimensions à résoudre par pliage. Ils ont ensuite créé, à partir de tous les cas résolus dont ils
disposaient, une série d’autres problèmes du même type, classés dans l’ordre croissant du niveau de
difficulté estimé pour résoudre chacun d’entre eux. Avec la contribution de 57000 personnes qui ont joué
à Foldit, le problème qui était irrésolu jusqu’alors le fut par l’une de ces personnes qui comprit
intuitivement comment fonctionnait le pliage de protéine.
Enfin, nous avons constaté que parmi les nombreux articles sur les serious video games que nous avons
lus, très peu d’auteurs faisaient référence aux recherches en Informatique qui exploitent un jeu sur
support afin de relever de nouveaux challenges. L’objectif utilitaire étant bien identifié et le support
informatique aussi, il nous semble étonnant que ces jeux ne soient pas plus souvent cités. En fait, la raison
en est peut-être l’âge important des premiers travaux qui ont été effectués dans cette optique. Ainsi
(Alvarez et Djaouti, 2012, 96) titrent un de leur chapitre : « les premiers jeux vidéo sont sérieux ». En
effet, les premiers jeux employés comme le Morpion (Tic Tac Toe) et le Jeu des allumettes (jeu de Nim)
ont été développés dans les années 1950 pour estimer les capacités de calculs et de simulation de
raisonnement des ordinateurs. Ces détournements de jeux se sont prolongés en suivant la progression des
capacités des ordinateurs. Par exemple, lorsque l’on obtient un programme informatique qui est en
mesure de battre les meilleurs joueurs humains à un jeu de stratégie donné, on passe à un jeu de stratégie
jugé plus complexe. On est ainsi passé de l’amélioration des capacités des intelligences artificielles pour
jouer au Morpion au tout début de l’Informatique, au jeu d’Échecs dès la fin des années 1950. Puis, de
nombreux autres jeux ont aussi été essayés (Dames, Scrabble, Backgammon, Othello, etc.) (Schaeffer,
2001). Depuis les années 2000, il semble que ce soit le jeu de Go qui est la faveur de ce type de recherches,
mais des jeux vidéo sont aussi testés tels que Tetris ou Super Mario (Szita , 2012).

1.2. Les « serious games » sans support informatique ou formes anciennes de
jeux utilitaires
La première date de référence de l’émergence des serious games est 1970. Elle correspond à une époque
où les jeux vidéo ne touchent qu’un public excessivement restreint de programmeurs confinés dans
quelques laboratoires et est liée à la publication du livre de C. Abt cité plus haut (Abt, 1970). Dans ce livre
Abt présente les serious games comme des jeux qui peuvent être employés pour former ou aider un public
adulte dans des contextes d’apprentissage, de prise de décision, de planification et de résolution de
problèmes. Mais il ne s’agit pas du seul auteur à employer le terme de serious game avant les années
2000. Par exemple, dans les années 1980, l’expression serious game est utilisée pour intégrer, dans cette




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catégorie des jeux utilitaires, les jeux de simulation de batailles ou de guerres employés par les militaires
sous le nom de wargames (Perla, 1990, 2). Ces wargames sont des outils de simulations développés à la
fin du XVIIIe siècle, notamment, par l’armée prussienne à partir du jeu d’Échecs (Perla, 1990, 18-19) et
par l’amirauté anglaise à partir de figurines représentants des navires de guerre (Perla, 1990, 19-20).
Depuis, les wargames sont employés dans de nombreuses armées pour la formation des cadres et la
simulation d’affrontements, mais ils sont aussi passés dans le domaine civil sous la forme de wargames
historiques pour enseigner ou comprendre certains faits et sous la forme de wargames économiques, sous
le nom de business wargames, afin de simuler des affrontements entre entreprises (Hunter, 2013, p 9).
Les wargames actuels existent sous différentes formes plus ou moins informatisées, mais aussi sous
forme de jeux de figurines, jeux sur cartes et jeux de rôles.
Puisque d’après Abt et les nombreux auteurs qui se réfèrent à sa définition, les serious games sont des
jeux qui peuvent être détournés et adaptés pour répondre à des objectifs utilitaires, il nous a semblé
normal de rechercher, à l’image des wargames, d’autres jeux utilitaires qui ne portent pas le nom de
serious game. Nous avons ainsi identifié les Jeux de Rôles Thérapeutiques dont les premiers essais
semblent être liés aux travaux du sociologue et psychiatre J.L. Moreno au début des années 1920
(Chamberland et Provost, 2008, 73). Il s’agit de détourner le potentiel du jeu de simulacre (Caillois, 1967,
47) pour échanger des rôles, en jouer d’autres, se mettre à la place d’autrui et explorer ce que l’on pourrait
dire ou faire dans tel contexte. Il semble que ces jeux de rôles soient ensuite passés du domaine
thérapeutique à celui du management (Bowman, 2010, 81). De même, il est possible que cette exploitation
de jeux de rôles dans des cadres de management ait incité certains de leurs utilisateurs à s’intéresser aux
wargames militaires. C’est en effet, dès la fin des années 1950 que les business wargames auraient été
proposés (Oriesek & Schwarz, 2008, 19). Mais, tous les jeux de management ne sont ni des jeux de rôles ni
des wargames, ils peuvent être aussi des jeux ludo-éducatifs. Ces jeux ne sont d’ailleurs pas propres au
domaine du management. Ils sont développés en tant qu’aide à l’apprentissage et ont le statut de jeu, de
fait ce sont des serious games. Ils « se situent dans un courant de réflexion visant à refonder les
pratiques pédagogiques, par le recours aux technologies numériques » (Lavigne, 2014).

2.      Les jeux sérieux en termes de structure, de contexte et d’attitude
S’il y a un certain flou concernant ce qui est considéré comme un serious game et ce qui n’en est pas un, le
problème se pose de même avec l’idée même de jeu. Surtout si « serious game » par abus de langage
correspond bien à la traduction littérale française « jeux sérieux ». D’un point de vue générique, un jeu
peut se distinguer de ce qui n’est pas un jeu par le regard qu’une personne porte sur ce dernier (Henriot,
1969, 19). De même, les jeux sérieux le sont parce qu’ils sont reconnus comme tels par certaines
personnes. A ce moment, le problème de ce qui est perçu comme un jeu sérieux peut se poser. Certains
auteurs (Juul, 2011 ; Alvarez et Djaouti, 2012, 96 ; Genvo, 2013, 108) distinguent alors la structure de jeu
(matériels de jeux et règles) ou game en anglais, de l’activité (l’attitude adoptée qui caractérise le fait de
jouer) de jeu ou play en anglais. Ces deux perceptions du jeu sont déjà proposées par Henriot qui y ajoute
l’élément contextuel : « ce qui fait que le joueur joue (…) ce qui rend possible en lui (et par son
intermédiaire) l’activité de jeu et la réalité même du jeu constitué » (Henriot, 1969, 16). Aussi, il nous a
semblé intéressant d’approfondir ces points, du point de vue des jeux sérieux, afin d’étudier les chemins
qui peuvent mener à l’élaboration de ce que certains pourront nommer « jeu sérieux ».

2.1.    Les structures qui font que l’attitude de jeu est sérieuse
Des auteurs comme J. Schell (2010) ont analysé ce qui était fondamental dans un jeu en termes de
structure. Pour ce dernier, un jeu résulte de la composition de quatre types d’éléments : une esthétique (ce
qui fait le lien en termes de sens sollicités entre le jeu et le joueur), des mécanismes (procédures et règles),
une technologie (tous les matériels et matériaux qui rendent le jeu possible) et une histoire décomposée
en un ensemble de séquences d’évènements (Schell, 2010, p 51). Ce type d’approche du jeu peut nous
permettre de considérer des choses selon leurs similitudes ou proximités qu’elles semblent partager avec
des choses qui sont admises en tant que jeu. De la sorte, le jeu d’acteurs, lors d’une pièce de théâtre, peut
s’interpréter comme un jeu à partir de sa structure. Il y a bien des joueurs (acteurs), des règles qui sont
suivies, souvent un décor et des costumes qui aident au jeu et contribuent à son esthétisme et pour finir
une mise en scène qui suit un ordre pour raconter une histoire. De la même manière, nous pouvons
estimer ce qui distingue et rapproche un jeu de rôles grandeur nature d’une reconstitution historique.




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Dans la Reconstitution Historique et le Jeu De Rôles, il y a un décor naturel qui évoque le lieu historique
et/ou imaginaire dans lequel les actions se déroulent. Un point qui semble les distinguer tient à la liberté
offerte aux joueurs : la Reconstitution Historique est moins un jeu que le Jeu De Rôles Grandeur Nature,
car son organisation impose aux participants le suivi d’un schéma narratif écrit par avance et réduit
grandement l’expérience des possibles des participants au jeu vis-à-vis d’un cadre de pur jeu de rôles
(Kapp, 2103, 16). Or, cette expérience des possibles par les joueurs caractérise aussi ce qui fait le jeu
(Genvo, 2013, 47). Nous nous retrouvons dans un cas similaire à celui d’une pièce de théâtre jouée. Cette
différence est donc incluse dans les règles implicites de ces deux formes de jeu. L’organisation de
l’évènement peut donc imposer des règles qui vont réduire l’expérience des possibles au profit du
développement d’une forme de spectacle que l’on peut considérer comme une forme sérieuse de jeu. De
même, un serious game réussi peut tenter de faire passer pour un jeu ou un jeu peut être employé en tant
que serious game. Si l’esthétique et les mécanismes d’un jeu ne sont pas modifiés pour en faire un serious
game ou bien si l’esthétique et les mécanismes d’un serious game évoquent ceux d’un jeu alors, l’attitude
adoptée par les joueurs pourra être plus ludique. De la sorte, des jeux vidéo tels que Wii Fit employé pour
de la rééducation physique (Kho et al, 2012) et nous certains serious games comme Foldit ou America’s
Army peuvent être considéré par certains joueurs comme de simples jeux vidéo. C’est d’ailleurs sur ce
procédé d’importation d’élément ludique à des activités sérieuses que se fonde le processus de
gamification. Ceci permet aussi de considérer si des rôles sont opposés vis-à-vis du jeu. Un producteur et
concepteur peut réaliser ce qu’il considère comme un serious game, mais les joueurs auxquels il est
destiné peuvent le considéré simplement comme un jeu ludique. A l’inverse, un cas problématique que
l’on rencontre dans les tentatives de gamification et de développement de jeux sérieux concerne le fait
que le jeu reste sérieux pour les joueurs alors que les producteurs et concepteurs pensaient avoir introduit
suffisamment d’éléments pour oublier l’élément sérieux


En partant de ce raisonnement, nous pouvons imaginer qu’il existe des éléments contextuels qui, dans le
sens inverse du processus de gamification, transforment ce qui était un jeu en un non-jeu. Cet aspect des
serious games a déjà été évoqué par Huizinga (1951, 273) au sujet des activités sportives, des jeux d’argent
et de certains jeux sur tables. « Le comportement du professionnel n’est plus celui du jeu, la spontanéité
et l’insouciance lui sont ravies » (Huizinga, 1951, 274). Ainsi, nous pouvons plus ou moins qualifier de
jeux sérieux, toutes les activités compétitives en apparence ludiques, dont la victoire est jugée comme un
enjeu important. La pratique de ces jeux nécessite donc une préparation sérieuse de la part des joueurs et
peut être qualifiée de professionnelle par certaines personnes. L’organisation de ces jeux est donc très
sérieuse et comprend des règles strictes. Elle s’inscrit dans un contexte particulier dont les éléments
constitutifs sont des fédérations, des ligues, des tournois, des compétitions "officielles", des centres
d’entrainement et de formation, des écoles, des stades et autres lieux figés et associés à la pratique de tel
ou tel jeu, etc. Les jeux sportifs dont les Jeux Olympiques entrent donc aisément dans cette catégorie
comme tous les sports devenus professionnels. A ce stade, on peut considérer que l’institutionnalisation
du jeu est une conséquence de la relation induite entre le contexte et la structure de jeu (Genvo, 2013,
109).
Dans le prolongement de cette réflexion sur l’attitude sérieuse d’un participant lors d’un jeu, nous
pouvons revenir sur le cas des wargames civils et autres jeux qui sont présentés comme réalistes et/ou
historiquement justes. Par exemple, dans le cas des wargames historiques, la structure de jeu, tant en
termes d’esthétisme, de mécanismes ou d’histoire, doit être suffisamment crédible pour ne pas décevoir
certains de leurs joueurs (Perla, 1990, 236). Pour ces joueurs, le jeu doit être une simulation historique
sérieuse et donc tenir compte d’un certain nombre de connaissances qu’ils ont de façon à éviter les
anachronismes et autres illogismes, à moins qu’ils ne soient exigés et spécifiés par l’univers du jeu lui-
même. Nous pouvons retrouver ce type de problème autant dans les jeux de plateau, les jeux avec
figurines, les jeux de rôles ou certains jeux vidéo comme Assassins’Creed , World of Tanks ou encore la
série Total War. Mais en fait, ces problèmes de crédibilité historique ou de rendu d’une certaine réalité
sont toujours présents dans les jeux vidéo, puisque les concepteurs, dans la plupart des cas, doivent
simuler les lois de la physique pour que le joueur ne soit pas trop perdu. Par exemple, un certain effet
d’apesanteur doit se faire sentir lorsqu’un personnage saute ou, s’il court, sa vitesse doit aussi dépendre de
la pente du chemin qu’il parcourt. Du point de vue de la perception, tout joueur garde donc un certain
regard sérieux sur le jeu, du moins sur tout jeu qui revendique un rapport avec une réalité et des
connaissances qui y sont associées (Salen, 2003, 7).




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2.2.    Les contextes qui font que l’attitude de jeu est sérieuse
S’il y a jeu, jeu sérieux ou travail, c’est peut-être parce que le contexte, dans lequel a lieu l’activité
concernée, impose des changements dans la structure ou l’attitude de jeu. Nous pouvons alors considérer
les sports qui semblent avoir suivi ce type de cheminement. D’abord jeu permettant de distinguer un
vainqueur, ils se sont dotés de règles strictes, ont trouvé leur public et sont devenus des sports. Ces sports
sont ensuite passés à l’étape de spectacles lorsque le public est devenu nombreux et qu’ils se sont dotés de
rencontres officielles et de lieux pour les accueillir. Enfin, ils sont passés à l’étape de la
professionnalisation (Delaplace, 2000, 322). Cette dernière est une conséquence de la préparation et des
efforts de plus en plus importants demandés aux joueurs. Ils doivent consacrer de plus en plus de temps
et d’énergie à cette activité qui était un jeu. De fait par rapport au jeu, du point de vue du joueur, le sport
relève du dépassement de soi et relève « du domaine de la convention et de l'institué » (Caillat, 1996, 17).
Lorsqu’il y a déjà institution et que l’on impose aux joueurs d’atteindre leurs limites, voire de les dépasser,
nous estimons que nous sortons du cadre du jeu sérieux pour celui du jeu professionnel. De la sorte,
l’intégration d’éléments compétitifs, comme le fait d’associer des points à certaines tâches (processus dit
de "pointification") pour en faire un jeu n’aboutirait pas toujours au résultat désiré. Selon cette
considération, des changements ajoutant des éléments de compétitivité, associé à un cadre institutionnel
ou professionnel transformeraient plutôt la tâche que l’on tente de gamifier en un sport, ce qui n’est pas
exactement la même chose et expliquerait certains échecs et critiques de la gamification.
Si la professionnalisation et l’institutionnalisation d’un jeu sont deux indicateurs pour identifier un
contexte de jeu sérieux, nous pouvons faire entrer dans cette catégorie tous les contextes de jeux dans
lesquels l’activité de jeu prend la forme d’un spectacle. Ce type de jeu est suivi par un public assez
nombreux pour intéresser des sponsors et des investisseurs. La professionnalisation du jeu découlera
logiquement des sommes d’argent générées par le spectacle et son contexte (retransmission à la
télévision, système de paris, marchandising, etc.). De nombreuses activités théâtrales et
cinématographiques entrent dans cette catégorie de jeux, mais aussi certaines formes de jeux comme le
Poker, le Billard, les Échecs et le Go. En effet, il s’agit de jeux où l’on retrouve des personnes qui sont des
joueurs professionnels et dont certains tournois sont retransmis à la télévision. De plus, si l’on suit le
même raisonnement, nous pouvons ajouter à cette catégorie de contextes qui font que les jeux sont
sérieux, les compétitions de e-sports où nous trouvons des personnes qui jouent à des jeux vidéo tels que
"Counter Strike", "Starcraft" ou "Crossfire" (Paberz, 2012). Dans un enregistre similaire, nous pouvons
ajouter les performances enregistrées et commentées des "gamers Youtubers" qui revendiquent des
millions de vues pour chacune de leurs parties disponibles sur les sites de partage de vidéos (Morisse,
2013, 59).
Dans une optique différente, l’école et l’entreprise, sont deux autres cadres institutionnalisés
d’enseignement et de travail, même si dans ces derniers le jeu n’est pas considéré comme un spectacle.
Dans le cadre scolaire, si un enseignant propose un jeu, il reste dans le cadre institutionnalisé et tout jeu
proposé dans ce type de contexte est perçu, a priori, comme un jeu sérieux. De même, les wargames
militaires et les business wargames sont conçus pour être joués dans des contextes professionnels et
particulièrement sérieux. Dans ces contextes professionnels, celui qui ne joue pas sérieusement est exclu
ou réprimandé. Tous les jeux de management présentés de la sorte sont prévus pour être employés dans
des contextes d’enseignements ou d’entreprise. À titre d’exemple, le fameux jeu de construction Lego
devient un jeu sérieux selon le cadre dans lequel on le met en application. Le contexte du Lego serious
play a ainsi été développé (Frick et al, 2013). Présenté par des professionnels et dédié à des
professionnels, le jeu de Lego devient un jeu sérieux qui permet de développer des projets en commun, de
générer nouvelles idées, de résoudre des problèmes décisionnels, etc.
En fait, un contexte professionnel et institutionnel peut revêtir plusieurs formes. Pour l’instant, nous
avons surtout considéré les joueurs comme seuls indicateurs de jeux sérieux, mais dans la cadre d’un jeu,
nous pouvons aussi identifier d’autres personnes que l’on peut identifier par leur rôle : public, producteur,
animateur, organisateur, éditeur, distributeur, concepteur, testeur, commentateur, etc. Ainsi, dans son
exploration de la différence entre les jeux de rôles grandeur nature et les reconstitutions historiques, S
Kapp (2013, 227) évoque la place du public dans ce décor. Il signale qu’il n’y a pas réellement de public
dans le jeu de rôles, tout le monde joue un rôle alors que le public est un spectateur sérieux dans le cadre
d’une reconstitution historique. Nous retrouvons ce même sérieux, lorsque le public peut parier sur le
résultat du jeu (Martignoni-Hutin, 1993, 69). Dans ces deux cas, le public est un spectateur sérieux et




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attentif à l’action qui se déroule. De même que dans le cas du public, nous pouvons considérer tous les
professionnels qui travaillent dans le cadre de l’élaboration de jeux non sérieux. En effet, que ce soit dans
des entreprises de jeux vidéo, de jeux de plateau, de jeux télévisés, etc., nous pouvons trouver des
producteurs, des animateurs, des éditeurs, des distributeurs, des concepteurs, des développeurs qui sont
des professionnels qui vivent du jeu. Pour ces personnes le jeu n’est pas une activité improductive qui ne
produit « ni bien, ni richesse, ni élément nouveau d’aucune sorte (…) sauf déplacement de propriété
entre joueurs » (Caillois, 1967, 42-43). De la sorte, la plupart des jeux télévisés, jeux de radio, de la presse,
des grands magasins, etc., du point de vue de leurs producteurs, notamment, sont aussi utilitaires, car ils
servent à augmenter l’audimat, l’audience, la connaissance de l’entreprise ou de ses produits et ses ventes.
Il suffit donc d’identifier le rôle d’une personne et constater s’il s’inscrit dans le contexte professionnel de
l’industrie du jeu pour que l’on puisse constater que de son point de vue, le jeu soit une chose sérieuse.

3.      Six trajectoires envisageables pour aboutir à un jeu sérieux
Nous avons vu différents aspects qui peuvent faire qu’une activité ou un objet peut être considéré comme
un jeu sérieux. Si ce quelque chose est qualifié de jeu et/ou de sérieux, c’est peut-être en raison de son
support, de sa structure, de son contexte ou de l’attitude adoptée par certaines personnes qui participent à
son élaboration. Ainsi, il existe pour nous, deux directions qui mènent à un jeu sérieux : celle qui
transforme une activité sérieuse en un jeu sérieux et celle qui transforme un jeu purement ludique en un
jeu sérieux. Nous avions présenté en introduction la gamification comme le processus d’arrangement de
quelque chose non ludique en quelque chose de plus ludique en y insérant des éléments propres à la
conception de jeux. Dans la direction opposée, nous proposons le processus de disengamement qui retire
certains aspects ludiques d’un jeu pour en faire quelque chose de plus sérieux. Ces deux expressions
peuvent être utilisées comme des termes génériques pour exprimer globalement les deux processus
opposés qui mènent à l’élaboration d’un jeu sérieux, mais aussi au sens strict, c’est-à-dire en tant que
processus qui ne touchent qu’aux aspects structurels des jeux, activités et autres éléments qu’ils
transforment.

3.1.    Gamification (ludification)
Au sens strict, la gamification ou ludification si l’on préfère l’expression française est un processus de
transformation de ce qui n’est pas un jeu en un jeu en y ajoutant ou en retirant des éléments structurels.
Une gamification extrêmement poussée commence par changer, par exemple, une tâche de travail en un
jeu sérieux, puis si on continue ce processus, change ce jeu sérieux en un simple jeu. S. Detering et al
(2011) distingue le serious game de tout autre élément gamifié en caractérisant ce qui est gamifié. Si c’est
l’objet ou l’activité en elle-même, c’est-à-dire le tout, c’est un serious game, si le processus de ne
s’applique qu’à certains éléments ou parties de l’objet ou de l’activité il s’agit de chose ou d’une activité
gamifiée. Les jeux de simulacre comme les Murders Parties, par exemple, relèvent de ce type de
processus poussé à l’extrême où des adultes jouent aux détectives. Partant de ce principe et du fait que la
structure de jeu peut être perçue en fonction de quatre composants (une esthétique, des mécanismes, une
technologie et une histoire), nous pouvons imaginer les transformations envisageables pour obtenir un
jeu sérieux à partir de changements sur chacun de ses composants. Ainsi, l’esthétique peut être rendue
plus ludique en évoquant des choses agréables ou en rapport avec l’univers du jeu. Par exemple,
Municipal Pursuit (Célerin & Plasse, 2012, 45) suppose par son nom une référence au jeu Trivial Pursuit
et donc des mécanismes de jeux fondés sur des questions et des réponses. De même, l’ajout de sons et
d’images propres à certains jeux vidéo contribue à créer une atmosphère de jeu. De la sorte, l’idée de jeu a
été renforcée dans Foldit en y insérant des sons spécifiques, des badges et un score associé aux résultats
des joueurs (Zichermann & Linder, 2013, 198). Dans ce même jeu, l’introduction de mécanismes de jeu,
visant à signaler lorsque l’on réussit à bien plier la protéine ou non, a contribué au succès de Foldit.

3.2.    Disengamement (désenludigagement)
De manière inverse à la situation précédente, le processus disengamement (ou désenludigagement, si l’on
doit utiliser un terme français) détourne progressivement un jeu de ses caractéristiques structurelles
ludiques pour en faire un serious game, voire quelque chose d’encore plus sérieux. Les premiers
détournements de ce genre auxquels on peut penser sont l’utilisation de jeux pour faire passer une
certaine forme de message comme dans les cas de Newsbreaker et Newsblaster qui sont des adaptations



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de Breakout et de Puzzle Bobble où une partie des mécanismes de jeux a été transformée : si on détruit
une brique ou une série de bulles, on obtient une information sérieuse en rapport avec l’actualité (Alvarez
et Djaouti, 2012, 48-49). Ces détournements de jeux sont du même ordre que ceux réalisés à des fins
promotionnelles, comme c’est le cas d’America’s Army qui est un détournement du jeu Unreal
Tournament à des fins de recrutements militaires (Smith, 2009). L’esthétisme y est devenu plus réaliste
et donc plus sérieuse, mais les mécanismes, la technologie et l’histoire sont restés proches du jeu originel.
Dans des cas différents, l’esthétisme peut ne pas changer, mais l’histoire que raconte le jeu peut être toute
différente de l’originale. Ce type de disengamement peut être illustré par l’utilisation de jeux comme le Go
(Fauvet & Smia 2006) ou les Échecs (Desportes, 2006) à des fins d’illustration de problèmes
décisionnels. Sur le même modèle, tous les jeux de simulation que l’on tente d’améliorer afin qu’ils
représentent au mieux une certaine réalité, par la justesse de certains détails, se transforment en jeux
sérieux. C’est ce qui s’est passé avec de nombreux wargames ou des jeux vidéo comme Simcity qui a pu
être détourné pour être employé à des fins pédagogiques (Alvarez et Djaouti, 2012, 17).

3.3.    Ludicisation (playfication ou playful design)
En dehors de la structure de jeu, nous pouvons envisager de changer le contexte ou directement l’attitude
des joueurs vis-à-vis de la tâche à accomplir. Si l’on part d’une activité sérieuse, c’est le processus de
ludicisation qui s’applique. Ce dernier a été proposé par S. Genvo (2013, 157), se traduirait en anglais par
playfication et correspondrait plus ou moins au playful design de (Detering et al, 2011). Il rend compte
du fait que des jeux sont considérés en tant que tel, parce qu’ils sont associés d’abord à une attitude
ludique prise par les joueurs ou considérée en tant que telle par un observateur extérieur. Ainsi, d’une
période d’histoire à une autre, d’une culture à une autre ce qui peut être considéré comme un jeu ne l’est
pas pour certains, mais l’est pour d’autres (Genvo, 2013, 41). Le contexte peut donc influencer l’attitude
des participants à une tâche. Le changement de cadre ou de support peut aussi y contribuer. C’est
pourquoi, on retrouve dans certains espaces d’entreprises de véritables jeux comme au Google’s campus
dont l’un des objectifs est de contribuer à créer une atmosphère de créativité et de plaisir chez les
employés de Google (Zichermann & Linder, 2013, 101). Un autre changement de cet ordre qui peut avoir
lieu concerne les rôles des participants. C’est ce que nous retrouvons dans les Jeux De Rôles
Thérapeutiques ou d’Entreprise (Chamberland et Provost, 2008, 73) où l’on propose d’inverser les rôles
des conjoints, des parents et des enfants, de responsables et d’employés, etc. Un cas très proche de
ludicisation est celui où quelqu’un avec un statut hiérarchique supérieur demande à d’autres personnes de
jouer. C’est le cas du système scolaire et de l’entreprise. C’est le cas de Lego serious Play et des business
wargames. Nous retrouvons aussi lorsque c’est un médecin qui propose un jeu en tant qu’activité
physique, comme dans le cas de détournement de jeux comme Wii Fit ou Dance Dance Revolution à des
fins thérapeutiques (Alvarez et Djaouti, 2012, 86).

3.4.    Institutionnalisation
Nous avons pu voir plus haut que des jeux ont pu se transformer en sport via un processus
d’institutionnalisation qui pousser à l’extrême est un processus de professionnalisation. Il s’agit du
processus opposé à celui de ludicisation. Ce processus rend compte d’un changement de l’attitude vers
plus de sérieux des joueurs ou toute autre personne en rapport direct avec le jeu. Bien évidemment, le
plus souvent, pour être mis en œuvre, ce processus s’appuie aussi sur des éléments structurels comme des
règles strictes. Il n’en reste pas moins qu’il peut agir avec l’aide d’autres éléments. Par exemple, le fait que
des joueurs décident de suivre strictement les règles d’un jeu rend déjà compte d’une transformation dans
leur attitude de jeu. Dans un contexte différent, la considération d’un jeu en tant que spectacle transforme
le rapport entre les joueurs et le public. L’activité de jeu peut être regardée avec un intérêt sérieux par un
public de curieux intéressés, mais qui n’ont pas le droit ou n’osent pas participer. Ce cas peut être illustré
par une démonstration de jeux traditionnels dans un cadre assez solennel, comme dans le cas de
démonstration de Shogi (échecs japonais) lors d’évènements culturels liés au Japon. Ce sérieux rend de
fait, l’activité de jeu plus solennelle. De même l’emploi de jeu dans le cadre d’un laboratoire de recherche
spécifiant bien qu’il s’agit d’une activité de recherche rend le jeu sérieux. Nous avons ainsi évoqué le cas
des jeux d’Échecs, de Go et de Tetris notamment. La transformation par le cadre et d’autres éléments
comme sa transformation pour en faire une compétition change le jeu de deux façons : le déroulement du
jeu peut faire l’objet de paris comme pour tous les jeux de casino et l’intérêt d’un public très nombreux




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pour la compétition peut engendrer la professionnalisation des joueurs, comme pour Starcraft (Paberz,
2012) qui se transforme petit à petit en e-sport retransmis à la télévision.

3.5.    Numérisation
Il nous reste aux moins deux processus qui mènent à la reconnaissance ou production d’un serious game.
Ils sont issus d’une considération orientée vers la structure de jeu. Dans ces deux cas les jeux sont compris
comme des sortes de jouets c’est-à-dire que leur contenu et leur mise en œuvre sont associés à un objet,
même si cet objet est un programme informatique. La première de ces deux visions est celle qui rassemble
ce que nous avons nommé : "serious video games" ou jeux sérieux développés sur support numérique. La
seconde vision concernera la matérialisation des jeux et sera abordée ci-dessous. Comme nous l’avons
présenté plus haut, les jeux de la catégorie des serious video games sont actuellement reconnus comme
les véritables serious games. La transposition d’un jeu sérieux sur un support numérique, le rendrait ainsi
plus encore sérieux. Cependant, ce constat pose le problème des jeux ludiques numérisé qui en ferait des
jeux plus sérieux que leur homologue sur plateau par exemple, ce qui nous semble assez peu crédible.
Nous pouvons supposer que la numérisation apporterait un peu plus de crédit à un jeu en le mettant en
adéquation avec l’air du temps et donc, un jeu sérieux le serait plus s’il est développé sur support
numérique, car nous sommes à l’ère numérique.

3.6.    Matérialisation
Il nous reste enfin le processus qui prend le chemin opposé de celui de la numérisation. Il s’agit donc de la
transposition d’éléments d’un jeu numérique sous une forme physique. Nous nommons ce processus :
matérialisation. Comme nous l’avons évoqué, il existe déjà des formes de serious games ancrés dans la
réalité physique que l’on peut nommer pour le distinguer des précédents : "physical serious games". Ces
jeux sérieux sont dépendants d’un support physique comme : une boîte de jeu et son contenu ou un
terrain de jeu et des règles associées. Nous pouvons alors rechercher des jeux vidéo auxquels on aurait
appliqué un processus de matérialisation qui les rendrait plus sérieux ou apporterait une couche ludique à
une activité sérieuse. Ce processus de matérialisation partielle permet d’inclure dans les catégories de jeux
sérieux, certains jeux pervasifs, c’est-à-dire des jeux à la fois sérieux et pervasifs (pervasive games) et de
manière générale des jeux sérieux en réalité alternée (alternative reality serious games) (McGonical,
2011, 120). Une première manière façon d’appliquer le processus de matérialisation est d’emprunter des
outils des jeux numériques pour les mettre en œuvre dans un univers non uniquement virtuel. Dans ce
cas, nous pouvons identifier l’utilisation de la Nintendo 3DS pour visiter le Louvre peut illustrer ce cas de
"serious pervasive game". Une autre manière de faire consiste à transposer un univers de jeux virtuels et
certains de ses principes dans la réalité. Le jeu sérieux REXplorer transpose ainsi, à l’aide d’un téléphone,
certains éléments qui ont fait le succès des jeux de rôles en ligne pour les appliquer à l’échelle d’une ville
(Ballagas et al, 2008). Pour terminer, le processus de matérialisation peut être associé à celui de
gamification afin de rendre plus ludique une activité sérieuse ancrée dans la réalité en empruntant
quelques mécaniques issues des jeux numériques. C’est par exemple le cas de la poubelle proposée dans
une expérience menée par l’entreprise Volkswagen. Cette poubelle était associée à un système de bruitage
comme dans les jeux vidéo et donnait l’impression que tout objet qu’on y mettait faisait longue chute
suivie d’un bruit de crash important (Werbach, 2014).

Conclusion
Dans cette étude sur les jeux sérieux, nous avons débuté notre travail par une revue de la littérature sur
les serious games. Après avoir constaté qu’il existait au moins deux catégories de serious games dont la
plus populaire et récente est purement vidéo ludique. Nous avons envisagé une séparation entre ces deux
catégories que la base d’une distinction à partir de leur support. En relation avec les définitions données
de la gamification, nous l’avons considéré comme un processus qui mènerait à certaines formes de serious
games. Ceci nous a poussé à étendre notre compréhension sur ce qui fait un serious game à ce qui fait
qu’un jeu peut être considéré comme sérieux. A partir de divers constats relevant de plusieurs catégories
de jeux et de sports, nous aboutissons à la fin de notre raisonnement à six cheminements différents
identifiés par paires qui sont orientés dans des directions opposées, mais amènent à l’observation d’un jeu
sérieux : (1) gamification – (2) disengamement, (3) ludicisation – (4) institutionnalisation, (5)
numérisation – (6) matérialisation. Cette perspective sur les jeux sérieux permet aussi de dégager trois



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dimensions pour classer ce qui est analysé et comprendre de quelles transformations a subit ou doit subir
une chose ou une activité pour être considérée comme un jeu sérieux. Afin de résumer ces différents
éléments, nous vous proposons les figures 1 et 2 qui reprennent ces idées. La figure 1 représente les
différentes associations entre attitude sérieuse ou non et structure de jeu ou non qui peuvent être réalisées
afin d’aboutir à une forme de serious game. Lorsque le résultat d’une association peut correspondre à
l’élaboration d’un serious game, cela est indiqué dans la case du tableau qui correspond et le nom du
chemin emprunté est indiqué entre parenthèses. Il y a ainsi deux variantes par chemin considéré. Par
exemple, le processus de ludicisation peut être appliqué pour changer une attitude sérieuse en une
attitude plus ludique ou pour ajouter une dose de ludique dans la relation entre des personnes et une
structure non ludique. Cependant, pour des raisons de place, nous n’approfondirons pas ici chacune de
ces variantes.




   Figure 1. Différentes transitions possibles entre attitude (sérieuse ou non) et structure (de jeu ou non).


Enfin, pour rendre compte de chacun des chemins pour aboutir à une forme de serious game, la figure 2
présente les différentes variantes de serious games en distinguant les formes purement physiques de
celles purement numériques avec pour formes hybrides les pervasive serious games. De même que dans
la figure 1, les chemins empruntés sont indiqués entre parenthèses dans les cases du tableau. Ce tableau
étant dédié au support, il représente donc différentes variantes dans la manière de considérer les
structures de jeu du tableau 1.




   Figure 2. Différentes transformations possibles entre formes numériques et physiques de serious games



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