Terminologie des métiers commerciaux : Une approche socioterminologique peut-elle conduire à un système de concepts ? Anne Parizot Laboratoire de recherche en français contemporain, Université de Paris III, http://ed268.univ-paris3.fr/ea1483 Résumé : Termes et concepts organisent la représentation du monde et s’inscrivent dans des relations de contiguïté, de synonymie voire d’identité. La désignation des emplois commerciaux ne fait pas exception. Mais il existe non pas une, mais des terminologies. L’entreprise est le témoin le plus représentatif de l’évolution terminologique dans ce domaine, évolution liée à l’organisation du métier, de l’entreprise et plus globalement de la société. Comprendre l’utilisation, la motivation du choix de ces concepts, leur dynamique, le type de relation qui les unit relève de la socioterminologie. Aboutir à une harmonisation consensuelle des concepts, non réductrice, basée sur une enquête terrain conduira à un meilleur partage des connaissances. Mots-clés : Concepts, commerciaux, métiers, termes, socioterminologie. 1 Introduction L’acte de désigner, acte fondamental, permet à toute réalité ou concept d’exister. Analyser la désignation des métiers des commerciaux dans une dynamique socioterminologique (au sens de l’école de Rouen) conduit à une approche plus fine des termes (usage, circulation et production). L’analyse porte également sur la motivation de création ou d’utilisation de concepts par une ou des communauté(s) langagière(s) définie(s). Indépendamment du contexte terminologique, les nouvelles technologies de l’information et de la communication accélèrent le besoin de connaissances et de partage de l’information. Le présent article a pour objet de présenter une pré-enquête pour répondre à la problématique globale : quelle terminologie employer dans la désignation des métiers commerciaux pour construire un système de concepts? Après avoir défini les motivations qui nous ont poussée à nous interroger sur ces désignations, nous présenterons les objectifs et les premiers résultats obtenus qui nous permettrons de proposer des pistes de travail et de réflexion envisageables. TIA’09 2 Contexte 2.1 Genèse de l’étude Le besoin d’une terminologie adéquate et commune pour définir les métiers ou les postes des commerciaux s’est fait ressentir à lors de la création d’un référentiel PPN (projet pédagogique national) et dans le cadre du PPP (Projet Personnel et Professionnel) des étudiants. La connaissance des métiers, des compétences qui y sont associées s’acquiert par la recherche d’informations, donc par l’identification de termes et de leurs définitions. Elle se réalise par la consultation de sources institutionnelles mais également par l’analyse d’offres d’emplois et par les discussions avec les professionnels. 2.2 Le constat Le constat issu de ces confrontations est le suivant : les termes se recoupent, se distinguent, certains sont non reconnus, donc non utilisés par les professionnels. Les définitions des concepts sont sujettes à des critères spécifiques qui ne sont pas identiques. Citons à titre d’exemples (tirés de la Norme expérimentale de l’AFNOR) : Commercialisateur n’est utilisé par aucune autre source, La définition de « technico- commercial » et de « vendeur » est identique mais on repère des écarts autour des critères de compétences, de statut ou de qualification. Cette étude est établie à partir d’échantillons de cabinets de conseil en recrutement représentant de la profession, la vision apportée n’est donc pas forcément une vision terrain. Le référentiel de l’APEC présente des fiches regroupant des termes spécifiques où coexistent des désignations données comme synonymes, à titre d’exemple : l’attaché commercial s’appelle aussi : commercial, inspecteur commercial, conseiller clientèle entreprise, technico-commercial. De plus, ce référentiel repose sur une segmentation de statut de cadre, variable très complexe qui renvoie à des classifications professionnelles, notion française liée à des représentations sociales. On pressent dès lors que le flou terminologique est important. La confrontation avec un corpus issu du monde professionnel est nécessaire. 3 Une pré-enquête sur la désignation des commerciaux en entreprise Recenser les désignations utilisées par ceux qui les vivent ou les construisent, analyser la perception globale que ceux-ci en ont, permet de mieux définir les concepts et surtout de leur donner une dimension sociologique qui n’existe pas dans les nomenclatures. La pré-enquête a été réalisée auprès du GIFEC (Groupe interprofessionnel des fabricants pour l’étude et la commercialisation) et Michelin. Elle sera étendue à aux 45 entreprises du groupe, à la CGI (Confédération française du commerce Il ne faut pas numéroter les pages - 2 Terminologie des métiers commerciaux interentreprises) et à des entreprises avec qui nous entretenons des relations privilégiées. Les entreprises ayant répondu actuellement sont en grande partie des fabricants : Air liquide, GFD, Latty, Legris Parker, 3M, Michelin, Rexroth, SKF, Smirit, Trelleborg Industrie. 3.1 Présentation La pré-enquête (questionnaires et entretiens) s’adresse aux DRH et directeurs commerciaux chargés de la désignation des postes et du recrutement. (L’enquête globale s’adressera également aux commerciaux terrain). Les questionnaires s’articulent en deux parties. La première vise à connaître la désignation des commerciaux dans l’entreprise, pour : les postes de commercial terrain, commercial sédentaire, les postes à responsabilité et les postes d’évolution. Le questionnaire est organisé en 5 thèmes : la désignation actuelle du poste, les missions et leur contenu, le niveau de responsabilité et de hiérarchie, l’historique de l’intitulé du poste, les critères de choix de l’intitulé actuel. La deuxième partie est orientée sur la perception globale des désignations portant sur deux thèmes : les fonctions de la désignation et la perception proprement dite de désignations prédéfinies. 3.2 Les résultats L’analyse des données (questionnaires retournés, complétés par des entretiens) globalise 27 intitulés différents et 24 désignations concernant les supérieurs hiérarchiques immédiats. Elle met en évidence des éléments, pistes de réflexion à approfondir. 3.2.1 Les intitulés Quelques exemples de désignations sont regroupés dans le tableau (Fig. n° 1). Le terme de responsable prédomine, il désigne les commerciaux opérationnels mais également les personnes chargées de fonction de direction. Les premiers postes en entreprise sont marqués généralement par le terme de commercial (ou attaché) voire technico-commercial. Plus on monte dans la hiérarchie, plus ils disparaissent au profit du terme de ventes. Les postes à forte responsabilité se caractérisent par trois termes : directeur, chef ou responsable. Ce degré de responsabilité se mesure en termes d’étendue de secteur géographique. Des ambiguïtés apparaissent : responsable régional des ventes et responsable des ventes régionales. Directeur renvoie au sommet de la pyramide hiérarchique dans l’entreprise, les concepts de chef et responsable semblent coexister. Mais là encore, l’utilisation de responsable augmente, car il est plus neutre que chef, ce dernier évoquant la notion négative d’autorité. Les concepts d’ingénieur grands comptes, responsable grands comptes, ingénieur comptes clés, responsable comptes clés sont équivalents. Le concept de responsable concurrence celui d’ingénieur qui persiste car il repose sur l’acquisition du diplôme d’ingénieur. Il ne faut pas numéroter les pages - 3 TIA’09 Désignation Désignation Désignation Responsable Entreprise actuelle* équivalente précédente hiérarchique immédiat Attaché com. Commercial Chef de ventes régionales 3M Attaché com. Assistant com. Responsable du bureau de Michelin sédentaire ventes Chef des ventes Chef des ventes national 3M régional Commercial Assistant com. Responsable customer SKF sédentaire service Commercial terrain Responsable Responsable national des SKF régional ventes Vendeur Ingénieur grands Ingénieur comptes Chef de ventes national 3M comptes clés Directeur de ventes et marketing Ingénieur technico- Responsable régional Latty com. Responsable des ventes Rexroth Responsable Voyageur Responsable ventes Michelin comptes Responsable régionales Secteur technico-com. Responsable grands Responsables des ventes SKF comptes grands comptes Responsable des Chef des ventes Directeur des ventes Michelin ventes régionales Responsable Directeur régional Air liquide régional des ventes Technico-com. Attaché com. Responsable régional Latty Sédentaire sédentaire Responsable des ventes Rexroth Fig. 1 - Tableau simplifié des désignations des commerciaux dans les entreprises Légende : * com. = commercial Concernant l’historique et l’évolution du terme, les entreprises sont assez peu créatives dans l’échantillon représenté. Souvent, le terme utilisé a été choisi car il existait déjà dans le secteur d’activité, référence à un usage standard (peut être par souci de compréhension). La motivation du changement de terme repose majoritairement sur la réorganisation de l’entreprise. Le contenu des missions évolue entraînant le changement des compétences. L’exemple Michelin est révélateur de cette évolution. Voyageur (utilisé jusqu’en 1985) a été abandonné au profit de Responsable technico-commercial (RTC), lui- même remplacé, à partir de 2000, par Responsable comptes secteur (RCS). Le passage de RTC à RCS est dû à une réorganisation de l’entreprise, donnant plus d’autonomie et modifiant la relation client. A titre d’ illustration, sur le marché poids lourds, le client achetait des pneumatiques, maintenant on lui propose d’acheter des Il ne faut pas numéroter les pages - 4 Terminologie des métiers commerciaux kilomètres. Le terme responsable comptes secteur, spécifique à Michelin, n’est pas bien compris par les autres entreprises, d’où une perception négative. Un poste se mesure également par le degrè d’autonomie qu’il confère. En croisant les variantes « intitulés et degrè d’autonomie », on relève que le poste intitulé responsable est celui dont l’autonomie est la plus sensible. Le concept de commercial ou de technico-commercial se retrouve en zone intermédiaire. 3.2.2 Les perceptions globales La fonction de la désignation reflète la valeur qu’on lui attribue.et elle se définit par: la compréhension pour le client (à plus de 60 %), la valorisation du commercial, la motivation du salarié (50 %), la hiérarchisation dans l’entreprise, le positionnement de l’entreprise, le positionnement par rapport aux jeunes diplômés. La motivation par rapport aux jeunes diplômés n’est citée qu’une seule fois par l’entreprise Michelin. La perception de dix-neuf concepts auprès des mêmes enquêtés, fait l’objet de l’analyse suivante (Fig. 1) à partir d’une échelle d’évaluation (de très positive à très négative). Fig. 1 - Perception des concepts : connotation très négative à très positive1 Commercialisateur (AFNOR) est perçu à forte connotation négative. Commercial possède également une image négative mais de moindre importance. Technico- commercial dans un emploi de substantif est neutre mais, en fonction d’adjectif il épouse la valeur du substantif auquel il se rattache. . Responsable a globalement toujours une valeur connotative positive voire très positive en fonction des éléments de détermination qui lui sont accolés, notamment avec grands comptes On le retrouve donc à plusieurs niveaux de la hiérarchie. Les concepts construits avec affaires sont des expressions sont toujours très positives. Cadre, moins positif ; renvoie plus à une catégorie socio professionnelle qu’à un poste ou une fonction dans l’entreprise et son emploi est de plus en plus délicat. Agent, assistant et attaché sont jugés négatifs. L’enquête globale présentera également la perception (ou l’auto-désignation) des commerciaux de terrain, qui contribuera pleinement à faire émerger la dimension identitaire. Fig. 2 - Perception des concepts : connotation très négative à très positive2 1 Les scores sont calculés à partir d’une simple moyenne arithmétique pondérée Il ne faut pas numéroter les pages - 5 TIA’09 4 Conclusion Ces résultats donnent un aperçu de l’étendue de la recherche et servent à valider une méthodologie de travail.. De plus, une telle enquête s’inscrit dans la durée car elle nécessite un travail en plusieurs étapes. L’évolution de la terminologie est liée aux réorganisations des entreprises, qui se répercutent sur la démarche commerciale et les compétences demandées. La notion de métier de commercial relève avant tout d’un secteur d’activité et a été associé longtemps à la désignation de force de vente (technicien force de vente). On pourra s’interroger sur l’extension du concept car la notion d’achats n’est pas prise en compte. Commercial est employé comme terme spécifique mais appartient également à la langue commune et les glissements métonymiques sont nombreux. On parle souvent de fonction commerciale. On voit les limites proches entre terme et mot. Les désignations spécifiques correspondent alors plutôt à une fonction dans l’entreprise. Il faut aussi tenir compte des critères retenus (secteur géographique, hiérarchie, formation…) dans la définition du terme ou du concept. Proposer un référentiel commun à des utilisateurs différents, dans le but d’harmoniser les concepts et leur compréhension, de modéliser les connaissances permettrait de confronter les données au niveau international. On pourrait alors envisager une mise en ontologie du système de concepts. La création d’un outil pourrait aider les entreprises à trouver la désignation répondant à leur besoin et leur permettre ainsi d’être plus créatives. Elles pourraient ainsi s’appuyer sur les échelles de perception des connotations des termes. Références ANPE. Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois (ROME) Rome.anpe.net/candidat APEC, Référentiel des métiers cadres des fonctions commerciale et marketing, décembre 2003. CARTIER. E. & ISAAC. F. (2009). Mot et traitement automatique des langues, in Le français moderne, n°1, Paris, p 144-160 DEPECKER. L. (2009). Entre mot et terme : de la technicité dans les mots, in Le français moderne, n°1, Paris, p.132-144. GAUDIN. F. (2003). Socioterminologie, une approche linguistique de la terminologie, Bruxelles, Duculot De Boeck ISO. (1993). Norme expérimentale ISO X50-660, Excellence commerciale, Emplois commerciaux, Méthode et identification. AFNOR, 1ère édition. Paris-La-Défense. RASTIER. F. (1994). Sémantique pour l’analyse, De la linguistique à l’informatique. Masson. Paris, Milan, Barcelone .Société française de terminologie. (2004). La terminologie discipline scientifique. Col. 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